Le jeudi 6 juin 2024, s’est déroulée la troisième édition des digitalks, un événement organisé par Apptitude. L’événement a eu lieu à Lausanne, au Casino de Montbenon.
En 2011, l’inventeur de Netscape et investisseur Marc Andreessen avait prédit que le « logiciel allait dévorer le monde ». Autrement dit, que tout passerait par un logiciel. On peut aujourd’hui constater la justesse de sa prédiction. Nos services administratifs, nos transports, nos achats passent maintenant par des applications mobiles ou web, avec des plateformes cloud.
Plus surprenant, nos montres, nos trottinettes, notre machine à café et même nos ampoules fonctionnent avec du code, connecté à Internet.
Il n’y a alors rien d’étonnant à voir le médical et les dispositifs médicaux se faire, eux aussi, “dévorer” par le software. Même si l’on peut se demander qui dévore qui ? Car la conception software repose sur des mantras hérités de l’esprit startup. On préfère foncer pour prendre des parts de marché avant de se soucier de la législation. Facebook ne s’est pas demandé quel était son niveau de responsabilité sur le contenu diffusé par les utilisateurs. Uber ne s’est pas préoccupé de la légalité de ses contrats avec les chauffeurs. L’industrie crypto ne s’est pas encombrée des règles financières. Dernier exemple en date : OpenAI, qui n’a pas considéré le droit d’auteur lors de l’apprentissage de ChatGPT.
On peut aussi parler de la méthode Agile, préférant parfois, selon la criticité du bug, reporter des correctifs pour la version 2 si cela permet de sortir la version 1 plus rapidement.
Bref, la mentalité startup autour du software se heurte à l’austérité médicale. Ce milieu exige l’excellence. Impossible de vendre un produit sans un aval formel du régulateur. En effet, on ne pourrait guère installer un pacemaker en expliquant que les correctifs arriveront à la fin du prochain sprint.
- Kim Rochat, Senior Advisor Quality & Compliance chez Veranex
- Maël Fabien, co-fondateur de Biped.ai
- Didier Blanc, Senior Software QA Engineer chez Tandem Diabetes Care Switzerland
nous ont parlé de ce milieu. Comment concilier le développement software et le médical ? “Créer un dispositif médical : défis et opportunités”
Les digitalks ont pour but de réunir l’entrepreneuriat, le design et l’ingénierie. Trois intervenants se succèdent sur scène pour partager leurs expériences, leurs succès et leurs défis autour d’une thématique commune. L’objectif est de présenter des cas concrets et pratiques, en évitant toute approche promotionnelle.
Découvrir et s’inscrire à la prochaine édition : www.digitalks.ch
Kim Rochat est Senior Advisor Quality & Compliance chez Veranex. Cette entreprise offre des services intégrés pour les technologies médicales en fournissant une expertise complète aux entreprises de produits de santé.
Leur cœur de compétence est de permettre à leurs clients de développer des technologies médicales pour les praticiens de la santé ou les patients du monde entier. Avec cette expertise, Kim Rochat nous a expliqué les règles de base pour reconnaître si le dispositif médical que l’on développe peut être considéré comme médical ou non, et les enjeux qui se cachent derrière. À travers des exemples, comme une brosse à dents (qui n’est pas un dispositif médical), un couteau à pain qui pourrait être utilisé par un chirurgien (ce qui irait clairement à l’encontre de l’objectif du fabricant), une paire de lunettes de soleil ou de vue et encore l’ambiguïté des montres connectées Garmin ou Apple Watch, Kim Rochat nous a sensibilisés de manière ludique aux différences, parfois très fines. D’un point de vue logiciel, nous avons compris que le fait d’afficher des données sans traitement ne fait pas automatiquement du programme un dispositif médical. Il ne faut néanmoins pas sous-estimer la masse de travail que demande une certification ni les risques et opportunités qui existent dans cette classification. Finalement, la véritable question semblerait être : pourquoi mon device n’est-il pas un dispositif médical ?
Maël Fabien, co-fondateur de Biped.ai est parti d’une observation dans la rue. Une personne malvoyante utilisait en même temps sa canne blanche pour se déplacer et son smartphone en visiophonie pour écouter les indications qu’un proche pouvait ainsi voir et lui transmettre.
Maël a eu l’idée de créer un harnais muni de caméras, d’un logiciel d’analyse et d’un GPS qui permettrait d’apporter une aide aux personnes malvoyantes d’un nouveau genre. Son objectif ? Ranger la canne blanche au placard. Oui, mais voilà, tout n’est pas aussi simple. Il a fallu trouver des solutions de design : où placer les objectifs ? Il fallait, par exemple, tenir compte des différences de morphologie qui peuvent incliner plus ou moins une caméra. Tenir compte que la personne doit pouvoir s’équiper facilement, sans voir… Le logiciel d’analyse des images filmées a été développé et itéré en fonction des retours lors de tests utilisateurs. Gérer le nombre d’informations, trouver le bon équilibre pour les signaux d’avertissement, comment réussir à indiquer qu’il y a un trou devant et surtout en estimer la distance ? Tout cela a été réalisé en mode startup, sans trop se poser de questions. Un jour, lors d’un test “canne blanche dans la poche arrière”, un cycliste arrive en face du testeur. Pas de canne blanche, pas de signe extérieur que la personne est malvoyante, une attitude pas forcément idéale du cycliste, et une prise de conscience que le produit pouvait être dangereux. Les questions arrivent : est-ce un dispositif médical ? Si oui, quelle catégorie ? 1, 2, 3 ? Qu’est-ce que cela implique ? Est-ce que les législations sont identiques dans tous les pays ? Maël Fabien a partagé toute l’expérience qu’il a pu engranger en développant un dispositif médical, sans rien y connaître.
Didier Blanc, Senior Software QA Engineer chez Tandem Diabetes Care Switzerland, nous a parlé de la gestion de la qualité. Si les soucis financiers disparaissent lorsqu’une startup est rachetée par un acteur mondial, la pression des investisseurs oblige à augmenter encore plus le rythme de travail.
Mais la gestion de la qualité doit être maîtrisée de A à Z afin d’éviter que son produit ne soit retiré du marché par le régulateur au premier problème. Car selon Didier Blanc, la question n’est pas de savoir s’il va y avoir un problème, mais plutôt quand est-ce qu’il arrivera. En effet, coder sans bug ne semble pas réalisable. Ne pas se préparer à la survenue d’un problème est une grave erreur. Il faut être capable de tracer l’intégralité des processus afin de pouvoir reproduire le problème et identifier rapidement des mesures correctives. Garantir la qualité des dispositifs médicaux à chaque étape, de la conception à la commercialisation mondiale, est un état d’esprit plus qu’un objectif. Le domaine ne permet pas l’approximation et c’est uniquement en ayant des équipes conscientes de ces aspects que l’on peut réussir à garantir la qualité exigée.
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